Miel, cire d'abeille et propolis : les produits de la ruche en cosmétique et santé naturelle
Les produits de la ruche (miel, cire d'abeille et propolis) sont controversés dans l'univers du naturel. Bruts, non transformés, ce sont des produits de grande qualité pour la peau et l'immunité. Mais ils ne sont pas véganes et ne sont donc pas considérés comme éthiques par tous.
Dans cette interview, nous allons en apprendre plus sur les produits que nous offrent les abeilles. Comment les fabriquent-elles ? Comment les extrait-on ? Quel est leur rôle et leur impact écologique ? Étant peu renseignée sur le sujet, j'ai invité une experte en apiculture pour nous aider à décortiquer ce sujet passionnant.
COMMENT LES ABEILLES FABRIQUENT LE MIEL ET LA CIRE
[Manue] Audrey, peux-tu te présenter et nous expliquer la place de l'apiculture dans ta vie ?
[Audrey] J'ai commencé à découvrir le monde des abeilles il y a 10 ans. J'étais en Master de Communication et Développement Durable, en alternance. J'ai eu l'idée de mettre en place un rucher dans le magasin où je travaillais. Avec mon directeur, on a suivi une formation d'un an dans un syndicat apicole. On a ensuite commencé l'aventure en installant 3 ruches dans le magasin. Depuis, l'histoire continue !
[M] J'aimerais en savoir plus sur les produits de la ruche que l'on retrouve en cosmétique et santé naturelle, notamment le miel. Qu'est-ce que c'est et comment les abeilles le fabriquent-elles ?
[A] Le miel est un produit totalement naturel, qui n'est pas transformé par l'homme. A la base, c'est du nectar que les abeilles butinent sur les fleurs. Ensuite, elles le rapportent à la ruche et se le passent de bouche en bouche. Grâce à leur salive, elles transforment ce nectar en miel.
Chaque abeille a son rôle dans la fabrication du miel. Les ouvrières le stockent dans des cellules de la ruche. Les ventileuses s'occupent d'en réduire le taux d'humidité, car il est au départ très liquide. Une fois l'humidité optimale obtenue, les abeilles cirières ferment les cellules en créant un opercule de cire. Le miel est alors prêt et peut-être conservé de cette manière pendant des dizaines d'années.
Notons qu'on parle ici des abeilles mellifères, c'est-à-dire des abeilles domestiques qui font du miel. Il existe de nombreuses abeilles sauvages qui ne produisent pas de miel. A la base, les abeilles stockent le nectar sous forme de miel pour pouvoir le conserver. Elles le consommeront pendant l'hiver, lorsqu'il n'y aura pas de fleurs et donc pas de nectar à butiner.
[M] A quel moment intervient la cire d'abeille ? A quoi sert-elle ?
[A] Une ruche est constitué de cadres, sur lesquels les abeilles vont bâtir des cellules hexagonales en cire, collées les unes aux autres. Ces cellules servent au stockage du miel, du pollen, mais aussi à la ponte et à l'éclosion des larves. La cire est l'équivalent du béton pour les abeilles : elle leur permet de fabriquer toute la structure de leur habitat.
Dans le milieu naturel, les abeilles s'installent dans des cavités naturelles comme des troncs d'arbres cassés. En apiculture, on utilise des boîtes en bois pour reproduire ces cavités.
[M] Dans le domaine de la santé et des compléments alimentaires, on trouve également de la propolis. De quoi s'agit-il ?
[A] La propolis est une substance résineuse marron, qu'on observe facilement à la surface de la ruche. Pour reprendre notre analogie : la propolis est le mastic des abeilles. Elle leur sert à colmater les trous de la ruche pour se protéger du vent. Elle a également des vertus antiseptiques qui empêchent les microbes de pénétrer. La propolis permet aux abeilles de faire de leur ruche un environnement hermétique et sain.
Pour fabriquer la propolis, les abeilles prélèvent de la résine sur certaines plantes et arbres. Sur le même principe que le miel, elles se passent cette résine de bouche en bouche et la transforment grâce à leur salive. Elles y ajoutent également de la cire.
Pour résumer :
- le miel est la nourriture en conserve les abeilles : il leur permet de survivre pendant l'hiver ;
- la cire est le béton des abeilles : elle leur sert à construire toute la structure de leur habitat ;
- la propolis est le mastic des abeilles : elle sert à boucher les trous et protéger la ruche du vent et des maladies.
EXPLOITATION DES ABEILLES POUR LA CONSOMMATION HUMAINE
[M] Comment prélève-t-on le miel pour l'utiliser pour la consommation humaine ?
[A] La ruche est faite de cadres internes pour la ponte et de cadres latéraux avec du miel. Cette structure, on n'y touche pas : c'est leur maison, ce dont les abeilles ont besoin pour vivre.
Au-dessus, on pose d'autres boîtes avec des cadres (qu'on appelle des hausses). Naturellement, les abeilles vont stocker du miel à cet endroit également. Au cours des mois de mai et juin, on va vérifier si le miel est prêt, c'est-à-dire si les cellules sont bien operculées.
Le moment exact de la récolte dépendra de la météo. On récupère alors les cadres des hausses et on retire les opercules de cire avec un couteau. On place les cadres dans une centrifugeuse afin de séparer miel et cire.
Le miel est ensuite filtré et placé dans un maturateur pendant environ 3 semaines. Le maturateur est une simple cuve, dans laquelle on place le miel pour que les impuretés remontent à la surface (mousse, restes de cire, etc.).
Après maturation, on met le miel en pot, tout simplement ! Pas de chauffage, pas de transformation, le miel reste tel qu'il a été fabriqué par les abeilles.
[M] Est-ce que tu trouves ça éthique d'utiliser le miel et autres produits de la ruche pour l'alimentation, la cosmétique et la santé ?
[A] Ça dépend comment est gérée la ruche. D'après l'observation de l'homme depuis des centaines d'années, les abeilles produisent toujours plus de miel que ce dont elles ont besoin.
En apiculture raisonnée (aussi appelée apiculture écologique), on ne prélève pas tout le miel. On laisse quelques cadres dans les hausses pour que les abeilles puissent se nourrir pendant l'hiver.
Pour un meilleur rendement, certains apiculteurs prélèvent tout le miel présent dans les hausses. Ils nourrissent ensuite leurs abeilles avec des pains de sucre. La qualité nutritive de ces pains de sucre est bien sûr très inférieure à celle du miel.
Pendant des années, j'ai nourri mes abeilles avec des pains de sucres, car c'est comme ça que j'ai appris l'apiculture. Avec le temps, je me suis posée la question : était-ce vraiment éthique ? J'en ai conclu que l'idéal était de prélever moins de miel, afin de m'assurer que les abeilles puissent consommer leur propre production pendant l'hiver.
[M] Est-ce qu'il y a un problème de surconsommation ou de production intensive de miel ?
[A] Oui. En France, nous sommes des gros consommateurs de miel. Nous ne produisons pas assez de miel pour subvenir à cette consommation, c'est pourquoi nous devons en importer depuis l'étranger. On trouve donc beaucoup de miels d'origine hors Union Européenne qui viennent notamment de Chine. Les normes sur l'appellation "miel" sont plus exigeantes dans l'UE qu'ailleurs : on n'a donc pas une garantie de qualité quand on achète du miel hors UE.
Heureusement, en France, il y a une certaine préservation du savoir-faire de l'apiculture. Il y a de nombreux petits apiculteurs, qui produisent de manière artisanale et raisonnée. En achetant auprès de ces producteurs, on s'assure d'une certaine éthique et d'un certain respect de l'abeille.
Cependant, le fait que l'on consomme autant de miel reste un problème. C'est comme pour tout : ce serait mieux d'éviter la surconsommation.
Pour faire évoluer sa consommation, la question se pose de savoir pourquoi on achète du miel. Certaines personnes cherchent les propriétés nutritives et cosmétiques du miel. A priori, elles vont donc chercher du miel de qualité, non mélangé, non chauffé, etc. D'autres personnes s'intéressent uniquement au goût sucré. Elles seront alors plus susceptibles d'acheter du miel en fonction de son prix, et de se retrouver avec des produits originaires du bout du monde fabriqués dans des conditions obscures.
[M] Que doit-on regarder lorsqu'on achète un miel pour s'assurer qu'il est de qualité ?
[A] Il y a plusieurs choses à regarder lorsqu'on achète du miel :
- Vérifier que le produit s'appelle bien "miel" : certaines marques utilisent des formules trompeuses comme "100% naturel" ou "toutes fleurs" mais n'utilisent pas l'appellation miel. Il faut aussi faire attention aux noms de marques qui contiennent le mot "miel", mais qui désignent la marque et non le produit.
- Eviter les "mélanges de miel" : le miel n'est pas censé être mélangé. Il est extrait puis mis en pot localement. S'il est mélangé, c'est qu'on y a ajouté d'autres produits comme du sirop de glucose, qui n'a pas du tout les mêmes propriétés.
- Eviter les miels d'origine "hors UE" : en dehors de l'Union Européenne, certains pays fabriquent le miel. Ils utilisent du sucre avec des exhausteurs de goûts et arômes, et ajoutent des enzymes pour reproduire ce qui se passe au sein de la ruche. Ces produits ne sont pas issus du nectar de fleurs, ils ne devraient donc pas être appelés miels. En terme de goût, par contre, c'est à s'y méprendre.
- Le prix : le miel coûte cher. 500g de miel, c'est des milliers et des milliers de fleurs qui ont été butinées. C'est donc quasiment impossible de trouver un miel de qualité en dessous de 10€ / kilo.
Par contre, il ne faut pas s'attarder sur l'apparence du miel : sa couleur blanche ou foncée, sa texture liquide, le fait qu'il cristallise ... Tout ça dépend du type de fleur qui a été butinée. On peut donc trouver une grande variété à ce niveau-là.
ABEILLES & PRÉSERVATION DE LA BIODIVERSITÉ
[M] Quel est le rôle des abeilles dans la préservation de la biodiversité ? Sont-elles menacées ?
[A] Les abeilles font parties des pollinisateurs, mais elles ne sont pas les seules. Il y a aussi les papillons, les mouches, les oiseaux, etc. Tous ces animaux contribuent à répandre le pollen et à permettre aux plantes de se reproduire. Ils sont donc très importants pour la préservation du règne végétal.
Les abeilles ont une grande capacité à polliniser : ce sont un peu les superwomen de la pollinisation. Pour cette raison, elles ont un rôle déterminant pour la biodiversité. Malheureusement, on observe un effondrement des abeilles. Les apiculteurs retrouvent parfois leurs ruches vides. D'un coup, toutes les abeilles ont disparu, alors qu'elles ne manquaient pas manquer de nourriture.
Personne ne peut expliquer précisément ce phénomène, mais on soupçonne le rôle des pesticides. Parfois, lorsqu'elles butinent des fleurs qui contiennent des pesticides, les abeilles meurent et ne rentrent jamais à la ruche. Dans d'autres cas, elles rentrent à la ruche après avoir butiné le nectar pollué, et on trouvera des résidus de pesticides dans le miel.
Tous ces intrants auxquels sont exposées les abeilles créent un effet cocktail. Les conséquences sont floues. Par exemple, il est possible que les pesticides rendent les abeilles plus sensibles au varroa, un acarien qui les décime.
Le frelon asiatique pose également problème. C'est un prédateur des abeilles qui leur crée du stress et déséquilibre la ruche. Il s'est très bien installé en France, car il ne fait face à aucun prédateur dans notre pays.
[M] L'apiculture urbaine s'est beaucoup démocratisée ces dernières années. Est-ce un moyen de contribuer à préserver les abeilles ?
[A] Les abeilles se plaisent en ville. Il y a une grande diversité de plantes différentes et donc une grande variété dans leur nourriture. Les plantes ne fleurissent pas toutes au même moment, si bien que les abeilles trouvent de quoi se nourrir presque tout au long de l'année.
Cependant, dans une ville comme Paris il y a désormais tellement d'abeilles qu'il n'y a plus assez à manger. Comme je l'expliquais précédemment, les abeilles sont des super pollinisatrices et donc des grosses mangeuses. Elles ne laissent rien aux autres pollinisateurs, comme les papillons. En ville, on trouve donc de plus en plus d'abeilles domestiques (abeille mellifère) et de moins en moins d'autres pollinisateurs, qui sont tout aussi importants.
Mettre des ruches en ville, c'est bien. Mais il faut planter beaucoup plus pour s'assurer que tous les pollinisateurs présents aient de quoi survivre. Sinon, c'est contre-productif. A Paris spécifiquement, il y a déjà trop de ruches : il faut arrêter d'en ajouter.
Les particuliers peuvent contribuer à la survie des pollinisateurs grâce à leurs balcons et de leurs jardins : les fleurs peuvent être butinées par les abeilles. Il vaut mieux éviter l'utilisation de pesticides et préférer les méthodes naturelles, car les abeilles consommeront ces pesticides. Et enfin, il faut laisser les "mauvaises herbes", qui ne sont pas mauvaises du tout ! Ces plantes ont un rôle important, dont celui de créer de la nourriture pour les abeilles.
[M] Et en campagne, comment ça se passe ? Quel est le rôle de l'agriculture dans la vie des abeilles ?
[A] La campagne est le milieu naturel des abeilles. Mais les campagnes sont principalement exploitées pour l'agriculture intensive. On n'a plus de prairies, plus de jachères fleuries, plus de haies bocagères (les haies qui séparent les champs).
Lorsqu'un champs fleurit à une saison, l'abeille peut se nourrir. Mais ensuite, pendant des mois, elle n'a plus aucune source de nourriture. De plus, ce n'est pas très bon pour l'abeille de se nourrir sur des champs d'agriculture intensive, en raison des pesticides et engrais qui y sont utilisés.
D'autre part, en France, on cultive beaucoup de blé. Comme l'orge ou le riz, le blé est une plante qui ne produit pas de nectar. Il ne permet donc pas aux abeilles de se nourrir. De manière générale, le manque de diversité dans nos campagnes impacte les abeilles et les autres pollinisateurs.
Les agriculteurs ont donc un grand rôle à jouer ! Certains s'investissent et recréent des haies bocagères, qui sont des nids de biodiversité. Ça crée de la nourriture variée et un habitat pour les abeilles. La plupart des pratiques d'agriculture durable va dans ce sens. Nous, les consommateurs, nous pouvons donc avoir un impact positif sur les abeilles en achetant nos fruits et légumes chez des producteurs engagés.